Actualités (2013-2024) | 2015
Les sources au travail. Les spoliations d’œuvres d’art par les nazis – la scène parisienne
19 avril - Appel à propositions - Université d'été du 2 au 11 juillet 2015
Présentation
Les choses durent plus longtemps que les gens. Il arrive toujours un moment où tous, acteurs et témoins, étant morts, les seuls contemporains de l’événement sont les lieux et les choses. Chaque anniversaire de la libération d’Auschwitz le montre bien : il y a de moins en moins de rescapés et bientôt il n’y en aura plus. Dans le même temps, cependant, l’actualité est toujours plus régulièrement bousculée par l’apparition — et l’éventuelle restitution — d’œuvres d’art spoliées par les nazis dans le cadre de leur politique de persécution antisémite. Les œuvres d’art, capables d’inscrire un passé lointain dans le vif du présent, sont-elles ainsi appelées à constituer les derniers témoins, évidemment imparfaits, de cette politique sans équivalent qui, pour toujours, a changé l’Europe ?
Le crime des spoliations et la politique de restitutions qui lui a répondu ont fait l’objet, depuis une vingtaine d’années, d’importants investissements, historiographiques, institutionnels, juridiques ou même artistiques. De nombreux colloques ou propositions artistiques récentes montrent à l’envie les enjeux brûlants qui se profilent derrière cette question patrimoniale qui n’est technique qu’en apparence. Dans la nouvelle édition de son Université d’été, la Bibliothèque Kandinsky propose de procéder à un réexamen du dossier en revenant au point de départ, c’est-à-dire aux sources.
Les sources ? On n’insiste jamais assez sur la multiplicité de leur sens et de leurs usages. Elles servent à écrire et comprendre l’histoire de ce qui s’est passé. Dans le cas présent, ce sont elles également qui permettent de débrouiller le parcours tortueux des œuvres et la légitimité des éventuelles demandes de restitution. Elles peuvent enfin servir de support à des opérations intellectuelles plus complexes, celles d’artistes contemporains dont les œuvres, se référant à celles que les nazis ont ciblées du fait de leur auteur ou de leur propriétaire, disent quelque chose de la manière dont ce passé est partie prenante de notre présent.
Or une source, en elle-même, à elle seule, ne dit rien ou si peu. Ce qui fait sens, c’est la manière dont nous sommes capables de les articuler les unes aux autres, de procéder à des raccords contextuels multiples et de donner à voir la stratification des enjeux de la spoliation. L’Université d’été mettra un choix de sources à disposition des participants qui sont, pour leur part, invités à enrichir cet ensemble en apportant les sources utilisées dans leurs travaux. Il s’agira certes, par un travail collectif, de mettre en œuvre un répertoire d’opérations historiographiques, mais aussi d’exercer son sens critique et sa capacité d’inventivité. L’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky 2015 sera donc l’occasion de mettre les sources « au travail » – de mettre au travail de jeunes chercheurs, étudiants conservateurs ou artistes sur les sources des spoliations d’œuvres d’art par les nazis sur la scène parisienne.
*
L’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky 2015 constituera une expérience unique vécue au cœur même de l’espace du musée et animée par des intervenants issus de plusieurs disciplines. Elle prendra la forme d’une succession d’ateliers de travail arrimés aux sources autour de cinq thématiques conçues à partir d’une approche typologique.
Biographies des œuvres et des collections
Le musée est l’espace institutionnel des œuvres d’art. La collection s’y déploie selon une intelligibilité qui prend la forme d’accrochages ou de catalogues : ce sont des récits d’histoire dont les œuvres seraient les mots. Le plus souvent, il manque une tonalité à ces récits, conçus suivant des considérations patrimoniales et esthétiques : ils n’atteignent pas la profondeur de l‘histoire propre des œuvres, la couche de leur identité singulière. Car les œuvres sont chargées d’un passé, celui du rapport spécifique que leurs propriétaires successifs ont pu développer avec elles et qui a pu se trouver brisé par la spoliation. Les investissements de tous ordres – économiques, politiques, esthétiques, affectifs, familiaux, etc. – dont elles ont fait l’objet nous disent aussi quelque chose des œuvres et peuvent assurément changer le regard que nous portons sur elles. Il en est de même pour les collections, ces ensembles constitués de manière méthodique ou aléatoire où chaque pièce prenait sens.
Combien de collections n’ont-elles pas été anéanties durant la Seconde Guerre mondiale, réduites au mieux à l’état de listes, et combien elles nous manquent, puisqu’elles auraient pu témoigner des intentions du collectionneur, constituer des sources pour une histoire de la réception et une histoire du goût. En reprenant les sources, l’Université d'été entend pouvoir reconstituer la biographie d’œuvres et de collections et, les donnant à voir sur le lieu même de leur conservation, faire entrer en collision un discours esthétique et un souci d’histoire.
Biographies des fonds d’archives et des sources écrites
On le voit, l’histoire des spoliations et celle, jumelle, des restitutions, est avant tout une histoire d’archive. Les sources sont ce que le passé nous a légué pour reconstituer son histoire – étant entendu que ce legs est à la fois intentionnel et aléatoire : certaines sources survivent par accident, d’autres ont été volontairement détruites. Par le fait même qu’elles existent, elles transforment le lieu qui les accueille en archives. Les plus grandes archives sont institutionnelles, d’autres sont familiales ou professionnelles. Il y a beaucoup d’archives ignorées, qui restent à découvrir. Nous explorerons dans une deuxième thématique les archives et les sources papier, écrites. On n’omettra pas le parcours parfois improbable qui a fait des archives ce qu’elles sont : pillées, déplacées, rendues, détruites ou passées au tamis, ouvertes ou fermées. Une fois encore, qui plus est, un examen plus interdisciplinaire que celui mené usuellement par les spécialistes en recherche de provenances ouvre un grand nombre de potentialités de lectures et d’usages : chaque liste d’œuvres volées dit plus que la somme des informations qu’elle rassemble.
Vie des images et des représentations
Mais les sources ne sont pas seulement écrites. Elles sont également visuelles. Images d’archives (photographies, films d’actualité, croquis) voire images de fiction – les images sont surabondantes. Elles sont présentes tout au long du processus, de l’achat de l’œuvre et de la constitution de la collection, à certaines étapes de la spoliation et surtout aux différentes étapes de la restitution. Hitler ainsi ne connaissait la collection de son futur musée de Linz que par les monumentaux albums photographiques confectionnés à dessein. Les images sont également le prétexte, le support, le déclencheur d’interventions d’artistes contemporains dont les propositions, au fur et à mesure que le temps passe, iront en se confondant avec les sources dont elles s’inspirent. Apprendre à lire les images, et derrière elles, constitue un enjeu majeur pour tous ceux que la problématique des spoliations et des restitutions intéresse – l’un des paradoxes étant que les mêmes images ont pu servir à la fois à favoriser la spoliation et à rendre possible la restitution. Nous nous intéresserons donc aux différents supports d’image et à ce qu’ils nous disent de spécifique, au-delà de leur contenu informationnel pur.
Les récits et leur construction
Des sources pour quoi faire ? Ou plus exactement : quel avenir pour les sources de toute nature interrogées dans les trois thématiques précédentes ? L’avenir des sources est la mise en récit. Chaque source a pour potentiel de rejoindre, par un biais ou un autre, un grand récit virtuel qui, sans doute, ne sera jamais écrit. On le sait, la mise en récit commence dès la production de la source : le photographe ou l’opérateur de cinéma adopte un point de vue et construit un cadrage ; une liste, un rapport, une lettre s’écrivent suivant une logique linéaire qui fait narration, les lieux à leur manière nous parlent. Mais la mise en récit se poursuit dans l’après-coup. Les exégèses des spoliations (études historiques ou de cas, souvenirs, œuvres littéraires ou artistiques) construisent bel et bien des récits, qui plus est publics, qui, interprétant les sources, finissent par s’y substituer dans l’espace public. Suivant quelles modalités ? Conclure l’Université d’été, sous l’angle des récits nous permettra de poser également quelques-uns des enjeux les plus brûlants de cette histoire. La spoliation était un phénomène éminemment politique dont la réparation est passée par une mise en récit politique ayant abouti à la mise en œuvre de dispositifs spécifiques : archive, enquête, indemnisation, restitution.
Lieux de l’histoire - la scène parisienne
La dernière thématique est de nature plus transversale : elle s’intéressera, tout au long de l’Université d’été, aux lieux de l’histoire de la spoliation et de la restitution. Nous dresserons une géographie parisienne de ces deux politiques, étant entendu que les revisiter aboutira à deux expériences distinctes : celle d’une présence permanente quand les lieux ont été conservés à l’identique ; celle d’une présence par le vide quand ils ont été détruits à la faveur de l’évolution inexorable de la ville. Cette cartographie interroge aussi le déplacement des sources de leurs lieux de productions vers des dépôts d’archives (listes de l’ERR et dossiers de réclamation aujourd’hui à La Courneuve, œuvres passées par le Jeu de Paume aujourd’hui dans les réserves des musées, dossiers d’« aryanisation » du CGQJ aujourd’hui à Pierrefitte). Il s’agit en somme de se réapproprier la ville en lui imposant un questionnaire déterminé par lequel cette histoire particulière est susceptible – malgré tout – de rejoindre le moment présent.
Documenter un parcours
L’Université d’été est ainsi conçue comme un parcours, un itinéraire qui sera documenté quotidiennement par la production d’affiches conçues sur le modèle de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg. Le public du musée pourra suivre ainsi au jour le jour l’avancée de la réflexion et ses moments les plus importants. Les différents feuillets de cet Atlas seront rassemblés à la fin de l’Université dans un livre pliable à petit tirage.
Procédure de candidature
L’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky s’adresse à un public transversal de jeunes historiens, historiens d’art, anthropologues, sociologues, étudiants conservateurs et artistes.
Les étudiants de troisième cycle (doctorants et post-doctorants) ainsi que les artistes qui souhaitent participer sont priés de soumettre une proposition de communication et une lettre de motivation accompagnée d’un CV et d’une liste de publications, tout en précisant les langues étrangères maîtrisées. Il est nécessaire pour concourir de maîtriser l’anglais et le français.
Les propositions ne doivent pas dépasser plus de 4 500 signes ou 700 mots et peuvent être rédigées en anglais ou en français. Elles doivent être soumises dans un document de format PDF et doivent comporter le nom du candidat, ses adresses (électronique et postale), l’établissement et le pays.
Les participants devront apporter un choix de sources qui servira de support à la présentation de leur travail.
Les propositions de communication sont à adresser avant le 19 avril 2015 à l’adresse électronique : bibliotheque.kandinsky@centrepompidou.fr
La ligne « sujet » du mail doit préciser le nom du candidat précédé de la mention Université d’été.
Les propositions seront examinées par le Comité de pilotage qui se chargera d’établir le programme définitif de l’Université d’été. Le Comité de pilotage retiendra 25 candidatures. Tous les candidats, qu’ils soient ou non retenus, seront contactés individuellement avant le 8 mai 2015.
Une contribution d’inscription de 100 € sera demandée aux participants qui bénéficieront de l’enseignement de l’Université d’été. Cette contribution couvrira un certain nombre de frais – transport vers les lieux visités, éventuels droits d’entrée dans des institutions, etc. Il sera par ailleurs vraisemblablement possible de bénéficier d’un hébergement à prix réduit suivant des modalités encore à déterminer.
A l’attention des candidats qui en feront la demande, le Centre Pompidou émettra toutes attestations utiles leur permettant d’obtenir toutes bourses ou aide de financement qu’ils pourraient requérir auprès de fondations, de musées ou d’institutions universitaires ou de recherche.
Sous réserve de finalisation du budget, il sera également possible de couvrir les frais d’un nombre limité de participants ne disposant pas de financement externe.
Vous pouvez adresser vos demandes de renseignements à l’adresse:
bibliotheque.kandinsky@centrepompidou.fr
Tel : +33 (0)1 44 78 46 65
Comité de pilotage
-
Didier Schulmann, conservateur, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris
-
Mica Gherghescu, historienne de l’art, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris
-
Florent Brayard, historien, directeur du Centre de Recherches Historiques, responsable de l’équipe Histoire et historiographie de la Shoah, EHESS-CNRS, Paris
-
Arno Gisinger, artiste, maître de conférences Université Paris 8
-
Johanna Linsler, historienne, IHTP-CNRS
Institution partenaire
Centre de recherches historiques, Equipe « Histoire et historiographie de la Shoah », EHESS-CNRS
Lieu
Université d'été de la Bibliothèque Kandisky
Centre Georges Pompidou
Place Georges-Pompidou
75004 Paris
Rubriques à consulter
- Légendes du sang. Pour une anthropologie de l'antisémitisme chrétien
- Jeremy Adelman - Humanitarianism and historiography
- Savoirs et sciences de la Renaissance à nos jours. Une lecture de longue durée : Conclusion générale de Dominiques Pestre
- Conférences de Jeremy Adelman (Princeton University)
- L’histoire de la Shoah par le document. Le recueil de documents comme forme d’écriture historique
- Les juifs face à la destruction : le district de Lublin
- Les sources au travail. Les spoliations d’œuvres d’art, 1933-2015
- 'Unsocial sociability' and socio-cultural tensions in Enlightenment Britain /'L'Insociable sociabilité' au coeur des tensions sociales et culturelles en Grande-Bretagne
- Comment faire l'histoire des sciences sociales?
- Retour sur la guerre d'Espagne. Mémoire et histoire
- Conférences de Pedro Ruiz Torres
- Conférences d'Eduardo Hourcade
- Actualité des Lumières
- Conférences de Miltos Pechlivanos
- Heydrich, le bourreau de Hitler
- Echos contemporains de la Première Guerre mondiale. Enjeux de frontières
- Les sources au travail. Les spoliations d’œuvres d’art par les nazis – la scène parisienne
- Écritures de soi : lifewriting, autobiographie, mémoire
- Womanhood and the ‘woman problem’ in the interwar period (France-Britain)
- Murmelstein, le dernier des injustes ?
- Conférences de Kenta Ohji
- Gianna Pomata. Epistemic Genres : Tools for the Cultural History of Knowledge
- Ecrits privés des bourreaux nazis
- Andrea Daher, L’Oralité perdue. Essais d’histoire des pratiques lettrées (Brésil, XVIe - XIXe siècle)
Actualités
L'historien sur le métier : conversations avec Carlo Ginzburg
Colloque - Vendredi 9 septembre 2022 - 09:00Depuis une cinquantaine d'années (la première édition de I Benedanti remonte à 1966), l'œuvre de Carlo Ginzburg ne cesse de bouleverser le métier de l'historien en lui offrant un nouveau plan d'enquête (la micro-histoire), une série de nouveaux concepts (le paradigme indiciaire entre autres), de nouveaux objets et de nouvelles inquiétudes. Ses enquêtes ont contribué à redistribuer les lignes de partage entre histoire et sciences humaines (anthropol(...)
"Croire en l'histoire ?"
Table ronde - Samedi 20 novembre 2021 - 10:00Du 18 au 21 novembre se déroule à Marseille la 28è édition des recontres d'Averroès, événement invitant un large public à penser la Méditerranée des deux rives. Avec un thème différent chaque année, quatre tables rondesjalonnent les quatre jours de la manifestation, dont le programme est enrichi de différents formats (tables rondes, concerts, spectacles, lectures) en résonance avec. le thème.Dans le cadre de l'édition 2021 sur le thème "Croyance(...)
Autour de l'ouvrage d'Antoine Lilti
Débat - Lundi 3 février 2020 - 14:00Les Lumières sont souvent invoquées dans l’espace public comme un combat contre l’obscurantisme, combat qu’il s’agirait seulement de réactualiser. Des lectures, totalisantes et souvent caricaturales, les associent au culte du Progrès, au libéralisme politique et à un universalisme désincarné.Or, comme le montre ici Antoine Lilti, les Lumières n’ont pas proposé une doctrine philosophique cohérente ou un projet politique commun. En confrontant des auteurs em(...)
EHESS
CRH - GEHM
54, boulevard Raspail
75006 Paris, France
Tél. : 33 (0)1 49 54 25 74
Pôle Gestion :
gilles.aissi (a) ehess.fr
Pôle Comm :
nadja.vuckovic(a) ehess.fr
Dernière modification :
17/04/2024