Actualités (2013-2024) | 2017

Enquêter sur les réputations

Appel à communications - Date limite le 20 février 2017

Présentation

Cette journée d’études, organisée par Adeline Denis, Sarah Kolopp et Guillaume Lancereau, avec le soutien du Centre Maurice Halbwachs et du Centre de Recherches Historiques, se donne pour objectif d’analyser les fondements et les formes des dynamiques réputationnelles, leurs effets sociaux, politiques et culturels, ainsi que les outils dont disposent les chercheurs pour les objectiver. Si les réputations attachées à des acteurs ou des collectifs sont ici prioritairement concernées, des enquêtes portant sur les réputations d’objets ou d’institutions pourront être mobilisées à titre de comparaison.

Les logiques réputationnelles structurent, à un degré et selon des modalités variables, l’expérience individuelle et collective du monde social, en particulier au sein d’univers professionnalisés (artistiques, académiques, politiques, financiers, etc.) fortement soumis aux enjeux de confiance des pairs, de distinction et de singularisation, de notoriété et de célébrité, ou encore de neutralisation des rumeurs.

En dépit de l’intérêt scientifique suscité par la question des réputations, le développement d’investigations au sein de traditions de recherche relativement indépendantes a abouti à un obscurcissement des frontières de cet objet et à une fragmentation des travaux empiriques. De la fama antique et médiévale (Gauvard, 1993 ; Guenée, 2008) aux effets politiques et sociaux du régime moderne de célébrité (Chappey, 2013 ; Lilti, 2014), en passant par les avatars humanistes de la renommée littéraire (Burckhardt, 1958 ; Destemberg, 2016), l’étude historiographique des dynamiques réputationnelles se concentre largement sur les univers de production culturelle, en même temps qu’elle redynamise des questionnements parfois anciens sur le phénomène de la rumeur (Bloch, 1921 ; Gotteland, 2001), du scandale et de la dispute (Lilti, 2007 ; Prochasson, Rasmussen, 2007 ; Waquet, 2010). Les ethnographes, qui s’appuient en partie sur les bavardages et commérages pour dévoiler les formes d’organisation des communautés ou milieux d’interconnaissance, ont peu thématisé ce fait social, exceptés les cas où les gossips ont été identifiés comme moteurs et résultats de luttes de statuts (Gluckman, 1963 ; Elias, 1965) utiles à la compréhension des relations de pouvoir (Bailey, 1971). Dans la même lignée, certains politistes américains ont mobilisé la notion de réputation pour rendre compte des modalités de construction d’un leadership local (Hunter, 1953 ; Freeman et al., 1963), sans que cette direction de recherches ne soit réellement réactualisée, du moins jusqu’à récemment (Fisher & Sciarini, 2015). La sociologie française a essentiellement appréhendé les réputations à l’œuvre dans les univers culturels et politiques par le biais des concepts de capital symbolique (Bourdieu, 1994 ; Dubois, 2009 ; Cousin & Chauvin, 2010), ou de valeur, de grandeur et de singularité (Heinich, 1999 ; Karpik, 2007). La sociohistoire des champs intellectuel et littéraire a ainsi donné plusieurs pistes fécondes pour saisir les luttes et les mécanismes par lesquels opèrent la reconnaissance et la consécration littéraire (Sapiro, 1999 ; Casanova, 1999).

Ainsi, il apparaît que les réputations, parce qu’elles colorent les relations sociales et se trouvent au fondement de rapports de pouvoir, méritent une attention renouvelée. L’enjeu de cette journée d’études consiste donc à dresser un bilan de ces investigations au moyen d’un dialogue résolument interdisciplinaire, axé autour d’une série de questions : comment les sciences sociales enquêtent-elles sur les phénomènes de réputation ? Inversement, que font les réputations au monde des sciences sociales ? Une approche empirique et réflexive en termes de réputation peut-elle apporter un nouvel éclairage sur les conditions sociales, souvent invisibilisées, de fonctionnement d’espaces sociaux au sein desquels les enjeux symboliques sont prééminents ? Au niveau structurel, comment cette approche peut-elle être mobilisée pour rendre intelligibles des positions ou des carrières au sein de ces espaces ? Sur un plan interactionnel, quels outils nous permettent d’expliciter le façonnement et les usages de la réputation comme ressource ou comme stigmate, ainsi que les stratégies et les contraintes liées à ces usages ?

Plusieurs directions peuvent être dégagées en vue de donner à la notion de réputation une épaisseur conceptuelle à même d’éclairer des cas empiriques divers et d’éprouver ainsi de nouvelles pistes méthodologiques. Nous privilégierons les communications qui visent à répondre à ces questions en appuyant leurs réflexions méthodologiques et leurs conclusions sur des matériaux empiriques.

La réputation : frontières et méthodes

Dans la mesure où l’enjeu de cette journée d’études consiste à élaborer, d’un point de vue interdisciplinaire, une définition opérationnelle du concept de « réputation », il convient d’interroger les frontières de l’objet ainsi que les matériaux, méthodes et dispositifs d’enquêtes permettant de saisir la diversité des régimes de réputation, des logiques de consécration, mais aussi des dynamiques de discrédit et de disqualification.

Le chercheur travaillant sur un matériau ethnographique, constitué par essence de récits et de jugements portés sur le monde et sur les autres par les enquêtés, ne sera pas confronté aux mêmes opérations d’objectivation que celui travaillant sur un matériau prosopographique. En quoi consistent ces opérations ? Comment le chercheur qui s’interroge sur les réputations doit-il traiter et contrôler ses données ?

De plus, les phénomènes de réputation se déploient à l’échelle d’espaces sociaux plus ou moins étendus, depuis les milieux d’interconnaissance les plus restreints jusqu’au niveau transnational. Quelles sont, selon les cas, les justes échelles d’appréciation d’une réputation ? Dans quelle mesure ces « jeux d’échelles » peuvent-ils éclairer les différents aspects d’un même phénomène ?

Construire et travailler une réputation

Une réputation, bonne ou mauvaise, grande ou petite, résulte d’un travail relationnel et de luttes d’accréditation (Becker, 1982; Chauvin, 2011 ; Giraud, 2015 ; Saunier, 2015). Pour le chercheur, objectiver la réputation revient à décrypter cette activité réputationnelle au moyen d’une série de questions : comment, concrètement, les acteurs (se) font-ils un nom ? Quel rôle jouent, selon les univers et configurations socio-historiques, les entrepreneurs de crédit ou de discrédit (Ranum 1980), les intermédiaires (Lizé, Naudier, Roueff, 2011) et professionnels de la réputation (Legavre, 1993) ? Quelles dispositions, croyances, réseaux, instruments formels ou informels, sont mis au service du travail réputationnel par les acteurs ? Quels dispositifs de réputation (Beuscart et al., 2015), fondés éventuellement sur l’essor d’instruments métrologiques (classements, notations, évaluations chiffrées), sont mobilisables et mobilisés ?

Quelles sont, en matière de réputation, les stratégies et les degrés de réflexivité des acteurs, leurs marges de justification et leurs modes de présentation de soi ? Comment met-on en scène et en récit une réputation ? Comment « sauver la face », se défendre face à une rumeur, neutraliser ou renforcer des jugements positifs ou négatifs ?

Pertes et profits des réputations

La réputation peut être envisagée comme un instrument social de légitimation, susceptible de transformer un rapport de force ou d’asseoir une domination. À ce titre, elle apparaît au cœur de certaines analyses processuelles et transactionnelles qui rendent compte des dynamiques et des positionnements dans des espaces professionnalisés, tant artistiques et intellectuels (Becker, 1982 ; Sapiro, 1999), que politiques (Bailey, 1988; Hunter, 1990) et économiques (Chauvin, 2010). Comment les ressources réputationnelles s’accumulent-elles et s’articulent-elles à d’autres ressources ? Quels usages concrets sont faits de ces modes de qualification et de disqualification ? Les ressources réputationnelles circulent-elles facilement d’un univers à un autre ? Quels sont les effets des réputations sur la structuration des groupes sociaux et professionnels, sur les trajectoires ou carrières des individus ? Enfin, et plus largement, quels sont les moyens scientifiques pertinents (analyse de réseaux, prosopographie, analyse ethnographique, etc.) et les matériaux empiriques permettant d’étudier les espaces et temporalités dans lesquels se produisent ces effets ?

 

Comité scientifique

Benoît de l’Estoile (CNRS), Raphaëlle Laignoux (Université Paris I Panthéon-Sorbonne), Antoine Lilti (EHESS), Michel Offerlé (École normale supérieure), Gisèle Sapiro (EHESS).

 

Modalité de soumission et de calendrier

La date limite d’envoi des communications (deux pages environ avec explicitation des matériaux d’enquête, ainsi que nom, coordonnées, statut et affiliations) est fixée au 20 février 2017 et devront être adressées à : adeline.denis@sfr.fr, sarah.kolopp@gmail.com, guillaume.lancereau@gmail.com.
La journée d’étude aura lieu le 26 juin 2017 à l’EHESS (Paris)

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28/03/2024